• L'express oriental

    Juste une petite mise au point: Comme l'a dit Piñataïca, la reine des llamas, nous sommes deux à avoir fait ce voyage: Marton pour les photos et Edmine pour le texte. Donc, désolée mais la plupart des lignes écrites en ce moment ne sont pas de moi sauf les quelques explications sous les photos et deux ou trois rajouts dans le texte. Mais oui, Edmine est doué en écriture et c'est d'ailleurs son métier... Si l'envie vous prend d'écrire votre biographie, il se tient à votre disposition... Bon... pas de pub ! 

     

    6 septembre

     Le réveil est salué par le chant d’un oiseau dont les sonorités évoquent un signal d’alarme antivol d’automobile. L’objectif est de passer en Bolivie, de l’autre côté d’un filet d‘eau affluent du fleuve Paraguay. Or nous sommes dimanche et la frontière ferme à 13 heures. La matinée est donc consacrée à demander un taxi, à parcourir avec lui les quelques kilomètres qui nous séparent de la frontière, à patienter 45 minutes dans la queue unique (entrées et sorties mêlées) de la police brésilienne où règne une odeur de curry, les populations locales mangent très épicé, puis 15 minutes dans les bureaux boliviens, à remarquer que la vaccination contre la fièvre jaune présentée en Europe comme strictement obligatoire (162 euros !) est le cadet des soucis de la police locale, que de douane il n’est pas question, puis à se laisser conduire jusqu’à la gare de Quijarro par le taxi bolivien qui depuis une heure nous guette, pour nous soutirer 50 bolivianos (6 à 7 euros) soit probablement le double de ce qu’un habitant du lieu aurait accepté. Encore que vraisemblablement aucun de ces habitants n’utilise le taxi. Il y a la marche à pied, le cheval, l’âne, sur une route un peu chaotique, dans les rues rarement asphaltées d’une petite ville plate où s’appesantit la chaleur du tropique. En gare attend l’express oriental qui conduit à Santa Cruz de la Sierra (à 660 kms) en près de 17 heures, soit une moyenne de 39 km/h.

    L’express (mal nommé) part à 13 heures, tiré par deux locomotives diésel, au cas où l’une d’elles tomberait en panne. On est immédiatement fixé sur son sort : jamais refaite depuis l’inauguration de la ligne vers 1930 la voie distille une secousse par seconde. Les sièges, qualifiés de « super-pullman » sont excellents, bien plus confortables que la classe économique des avions, mais rien n’y fait, les rails diaboliques scient les reins des voyageurs : quelques touristes aventureux et une large majorité d’indiens guaranis, chiquitanos, ou de métis.  Ce train, traditionnellement baptisé « train de la mort » mérite vingt fois ce surnom ; il conduisait autrefois les tâcherons de Santa Cruz vers les forêts à défricher, les hévéas à saigner et les fièvres mortelles du pantanal, ou les soldats vers les fronts de la guerre du Chaco (dans les années 30) qui opposa la Bolivie et le Paraguay pour la possession de terres supposées pétrolifères. Cette guerre gagnée par le Paraguay et qui réduisit de moitié sa population masculine fut d’ailleurs inutile puisque c’est finalement en Bolivie que l’on découvrit les gisements.

     On traverse jusqu’à la nuit une forêt tropicale à peu près plate identique à celle de la veille mais beaucoup plus dense. Elle est très embrouillée et presque vierge, avec les trouées de rares estancias, dont une qui a planté méthodiquement une forêt d’eucalyptus. La haute silhouette gracile des carandays ponctue les marécages, les vautours planent éternellement, et de loin en loin on aperçoit les saluts joyeux de la population de quelques hameaux indiens, dont les maisons sont parfois juchées sur pilotis. Dans le couloir central passent et repassent voyageurs et employés du train. Les toilettes puent le créosote, dont le parfum délicat autant qu’exotique imprègne progressivement le convoi. Peu de gares, mais à chacune d’elles montent des cohortes de petits vendeurs de mani (cacahuètes), empanadas, manzanillas et chichas (maïs ou sésame fermentés et allongés d’eau sucrée). A la nuit, repas au wagon restaurant sur des tables en formica bleues où il fait froid : poulet flasque et riz sauce piquante. Ensuite on recherche le sommeil car la lumière fluette ne permet pas la lecture, ou on s’évertue à essayer de suivre des films abrutissants sur l’écran de la télévision[1]. Les enfants sont sages, étonnamment sages et silencieux, et cette constatation vaudra pour toute la Bolivie. Vers une heure du matin montent des allemands Mennonites, une secte protestante anabaptiste. Convaincus comme les Amish aux USA que le progrès est néfaste et que tout changement est suspect, ils sont habillés uniformément d’une salopette bleue pour les hommes et de robes à fleur tout droit venues de la « petite maison dans la prairie » pour les femmes. Ils parlent un dialecte bas-prussien et seuls les hommes s’expriment dans un espagnol assez rudimentaire.


    [1] Tous les bus et trains ou presque sont équipés d’écrans de télévision, ou au moins diffusent de la musique  

     

    Quijarro

     

    (à droite un ñandu, sorte d'autruche locale)

     

     

     

     

    Les animaux circulent librement: chevaux, vaches, chèvres, cochons, poules et coqs...

     

     

    (Vieille femme qui vend sa marchandise. Nous n'avons rien acheté et pourtant ça avait l'air fort appétissant!)

     

    Arrivée à Santa-Cruz

     

    « CorumbàSanta-Cruz, place centrale »

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 7 Octobre 2015 à 18:21

    On commence à doucement prendre la mesure de ce pays  et la végétation nous y plonge exotiquement. Et le texte de Monsieur Edmine me convient tout à fait. On apprend et on n'en sait jamais assez.

    2
    françoise
    Mercredi 7 Octobre 2015 à 19:28

    j'apprécie la narration. Nous sommes avec vous

    à demain

    bonne soirée

    3
    Jeudi 8 Octobre 2015 à 08:06

    Ton article est très instructif; J'aime la photo de l'arbre

    Bonne journée

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    4
    Jeudi 8 Octobre 2015 à 08:44

    Merci à vous deux. Je sais que Mr Edmine écrit très bien mais j'ai toujours dit à M'selle Marton qu'elle avait  une bien belle plume.

    L'article est très instructif et les photos bien réelles (c'est du brute et la réalité sans chichis).

    La première me marque particulièrement avec tous ces fils !

    Comment vous sentirez vous, vous au milieu de cette population ?
    Belle journée. Bises

      • Jeudi 8 Octobre 2015 à 10:19

        Et oui, il faut s'habituer aux fils, en Amérique du Sud, il y en a partout, ils font partie du paysage, même dans les déserts qu'ils traversent le long des pistes.

        La plupart de mes photos sont faites en instantané, parfois au travers de vitres sales, de tous les moyens de locomotion utilisés et souvent en me cachant un peu.

         

    5
    Vendredi 9 Octobre 2015 à 15:37

    Pour moi c'est un peu un retour aux sources, un pélerinage.... donc j'apprécie la véracité du texte et des photos. Une bouffée de nostalgie.Merci.

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